Les passants passent, les jours aussi, tout s'efface, tout finit !

les passants passent, les jours aussi, tout s'efface, tout finit !
Exposition à L'Art s'invite à Magrie. Octobre 2019

Nous naissons et sommes désorientés par l'impensable du réel : l'impensable de la puissance, de la force animale, de la profusion végétale, du ciel, des orages et des étoiles, l'impensable du temps qui s'écoule, du passé qui n'est jamais passé, du futur qui n'existe pas, l'impensable des destins individuels et de l'incroyable complexité des réseaux de causalité à travers lesquels tout s'organise, l'impensable absolu de la mort. Les rites, les religions et la magie avaient pour fonction de donner sens à tout cela, mais aujourd'hui on y croit plus. On vieillit et on n'en sait pas beaucoup plus. On meurt et on oublie tout.
Les oiseaux morts de l'Amérique. Christian Garcin. Actes Sud, 2018

Non mais franchement tu ne trouves pas qu’il fait froid ? Toute cette neige sur le quai et les pas qui laissent sur le passage des traces, ce brouillard que percent à peine les phares des autos, non, franchement c’est l’hiver ou c’est juste moi qui vois mal ? La vue comme les autres de mes sens s’érode, je sais le temps qui passe et les jours qui s’estompent, se couvrir, fermer les yeux et inspirer, sans doute se protéger, cela ne brisera pas son cours – il restera là, têtu comme une bourrique disait le poète en parlant de son amour – il restera là ce temps et passera comme nous, un parcours sur le plan de l’écliptique, une ellipse vers Vega de la Lyre, l’illusion de l’explosion primale et de son évanescence infinie, ici sur Terre restent quelques statues, quelques regards éteints, quelques bras nus, les arbres migrent, les cieux palissent derrière les fils électriques droits et raides, ce n’est pas que nous soyons peu sur cette planète, non plus que rien ou autre, non tous semblables, tous égaux, ce n’est pas qu’il faille chercher quelque chose dans ces traces sur le blanc de zinc étalé à la va-vite sur une vitrine, non, mais en les capturant, en les cadrant, les encadrant, le point le contraste la vue, exprimer simplement un peu de la chaleur qui nous parvient quand le rideau s’ouvrira encore.

Pierre Cohen-Hadria. Paris. Juillet 2019